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Titre: Douleurs des enfants cancéreux : L’expérience sociale des mères
Auteur(s): Tennci, Lamia
Date de publication: 2010
Editeur: Université Oran 2 Mohamed Ben Ahmed
Résumé: Conclusion Nous avons tenté de montrer dans cette étude la construction progressive des différentes catégories de perception de la douleur. Des douleurs liées d’abord au cancer mais dont la signification exprime un bouleversement à tous les niveaux de vie de la personne malade et de son entourage. L’implication active des mères dans la reconnaissance des premiers signes physiques du cancer survenant chez l’enfant et la mobilisation de tous les membres de la famille pour recourir à un médecin, nous a permis de rendre visible le travail de santé réalisé par les mères. Le travail d’observation, de veille et de soulagement des perturbations affectant l’enfant est assumé par les mères d’abord dans l’espace domestique. Il va ensuite se poursuivre à l’hôpital et surtout dans les moments difficiles de fin de vie de l’enfant, lorsque son état se détériore. Avant que le diagnostic de cancer chez l’enfant ne soit détecté par le médecin, les mères attribuent les premiers symptômes à d’autres pathologies sans grande gravité parce que suspecter un cancer chez l’enfant est en soi inconcevable. A leur tour, les médecins qui auscultent l’enfant ne pensent pas tout de suite au cancer. Ce dernier est fortement perçu comme une maladie affectant les personnes âgées. La découverte du cancer est souvent révélée de manière fortuite, elle peut marquer aussi une lenteur considérable. Cependant, le cancer évolue et se propage à d’autres endroits du corps de l’enfant et oblige la famille à recourir en urgence au médecin. Celui-ci constate alors que le cancer a bien avancé et les possibilités de guérison deviennent très limitées. En réalité, la prise en compte des représentations des mères à l’égard des premiers signes de la maladie de l’enfant peut constituer un élément important dans l’établissement d’une stratégie de prévention du cancer chez l’enfant. La diversité des recours thérapeutiques face à la maladie amène les mères à se rendre chez différents thérapeutes. Le passage du dispensaire à l’hôpital puis au médecin privé est construit dans un seul objectif, celui de la guérison de l’enfant. Le rapport aux institutions de santé est construit en fonction de l’efficacité immédiate apportée à l’enfant malade. L’attitude des soignants à leur égard et la manière de prendre en charge l’enfant amène les mères à poursuivre le traitement ou bien à rompre le contact avec le médecin en question. 116 Les propos des mères ont révélé l’importance de connaître quelqu’un à l’hôpital pour être pris en charge immédiatement. Les mères dépourvues de capital relationnel évoquent cette longue attente lorsqu’elles sont amenées à rencontrer un médecin, de prendre un rendez-vous chez un radiologue ou de trouver le sang nécessaire pour poursuivre le traitement de chimiothérapie. L’annonce du diagnostic est soumise à l’incertitude, la complexité des trajectoires de cancer modifie à chaque fois l’expérience des mères. La vie quotidienne est déréglée par l’impact des symptômes et/ou la survenue d’incidents imprévisibles (Herzlich, 1998). L’annonce d’une évolution défavorable de la maladie, ou la nécessité d’effectuer un acte chirurgical, par exemple, une amputation, s’intègre aussi dans une expérience de la douleur. Les mères reçoivent cette annonce de manière brutale et doivent l’accepter le plus rapidement possible. Ensuite, elles sont amenées à fournir des explications à l’enfant, de le préparer à supporter les effets douloureux des traitements et des interventions médicales. L’entrée des mères au centre de lutte contre le cancer, leur impose de réaliser un travail de soins aux multiples dimensions. Il touche toutes les sphères du travail domestique de santé (Cresson, 1995). De l’observation des symptômes comme la fièvre au travail sur l’alimentation, la gestion des douleurs liées aux traitements, aux ponctions, la chute de cheveux, le soutien affectif, etc. Ce travail domestique de santé se poursuit en même temps que les soins professionnels qu’ils complètent voire qu’ils remplacent. L’activité des mères ne s’arrête pas à la détection ni à l’apaisement des plaintes initiales de l’enfant, elle contribue à une véritable production de santé. La gestion d’une maladie au long cours et le contact répété et continu avec l’hôpital, contribue considérablement au bon fonctionnement de l’institution médicale. Les mères deviennent alors selon Patrice Pinell (1992) un « auxiliaire médical profane » en assurant elles-mêmes une activité technique de soin. (Herzlich, 1998). Ceci nous amène à porter une interrogation ultérieure sur la place des parents et plus spécifiquement celle de la mère dans l’institution médicale. Quelle place leur est-elle accordée ? Une place de parent protecteur qui est là pour rassurer l’enfant et le protéger ? Une place « d’auxiliaire médical » qui aide le soignant à réaliser des soins, l’informe et l’accompagne pendant l’hospitalisation ? Ou alors, un rôle d’éducateur aux principes de santé, d’hygiène et d’alimentation ? Autrement dit, comment les soignants considèrent-ils la présence de la famille auprès de l’enfant malade ? Quelle place et quel statut voudraient-ils lui accorder ? 117 La question des douleurs de l’enfant cancéreux a été le centre d’étude de notre travail. Nous avons cherché à comprendre comment s’effectue la prise en charge de la douleur dans un centre de lutte contre le cancer ? De quelles manières était-elle perçue et vécue par les mères ? Nous avons constaté que la prise en compte de la douleur était très marginale. Certaines douleurs étaient traitées par le personnel de santé en prescrivant à l’enfant des antalgiques dont l’efficacité était limitée. Les soignants se consacrant en premier lieu à réduire la multiplication des cellules cancéreuses ou de la masse tumorale. Les douleurs de l’enfant malade par contre étaient prises en charge ultérieurement. Pour eux, le traitement de la maladie contribue à faire disparaître les douleurs. C’est donc une définition des douleurs en terme biologique et fonctionnel basée sur le modèle de la maladie aigue. Les retards enregistrés dans la prise en charge du cancer font qu’il y a peu de solutions thérapeutiques à offrir à l’enfant malade. Il faut traiter rapidement l’enfant, le soulagement des douleurs se fera secondairement. Pourtant, les perceptions des mères à l’égard des douleurs de l’enfant ne se construisent pas selon la même logique que les médecins. Ici, la question des douleurs de l’enfant ne dépend pas forcément ou toujours des catégories du savoir médical, mais d’avantage des rapports de l’individu à la société. L’irruption du cancer dans une famille amène les parents à se mobiliser fortement, surtout ceux appartenant aux catégories sociales moyennes ou défavorisées. Les difficultés financières, la pénurie ou la cherté de certains médicaments indispensables, les problèmes liés aux transports et aux déplacements d’une structure de soins à une autre ainsi que la disponibilité d’un autre membre de la famille auprès des enfants non malades constituent des contraintes sociales contribuant au renforcement de l’expérience de la douleur. La douleur est certes une expérience subjective, individuelle, difficile à partager et à communiquer aux autres. Elle est aussi construite socialement. On a évoqué les douleurs exprimées par l’enfant suite aux traitements, aux différents soins médicaux. Nous avons constaté que la douleur des enfants est non seulement inscrite et marquée dans leur corps, elle peut être aussi l’expression de conflits antérieurs, d’expériences négatives vécues avant la survenue de la maladie. Le déroulement des traitements et la longue durée de la maladie a permis aux mères de se rendre compte d’un décalage, d’un écart entre les discours prononcés par les soignants sur les douleurs de l’enfant et le vécu propre de l’enfant qui s’étend à plusieurs niveaux de perturbation. 118 Le système de représentation des soignants à l’égard des douleurs de l’enfant cancéreux, est construit selon le modèle de la maladie aigue. Cette conception des soignants sur la douleur de l’enfant influence fortement la perception des mères et de leur enfant parce que face à la maladie grave de l’enfant et à certaines situations difficiles de la trajectoire, les mères s’appuient sur les façons de faire et de penser du personnel hospitalier. La douleur devient un problème mineur s’effaçant devant la gravité de la maladie elle-même. La fixation sur l’organicité de la maladie, l’éradication du symptôme devient une fin en soi sur le registre exclusif de l’organicité (Le Breton, 1995). De la même façon, les mères perçoivent la douleur de leur enfant comme un problème physique. Elles expliquent à l’enfant que la cause des douleurs vient des traitements de chimiothérapie. Elles insistent auprès des infirmières pour que l’enfant reçoive un médicament contre cette douleur. Quand les douleurs persistent et se confondent à d’autres situations liées au fonctionnement particulier du milieu hospitalier, à l’évolution imprévisible du cancer, à la séparation avec la famille, à l’impossibilité pour l’enfant d’aller à l’école, etc, les mères modifient à nouveau leur conception des douleurs. Elles constatent que les douleurs de l’enfant ont un rapport avec un ensemble d’évènements. Elles ne sont pas liées uniquement à des aspects physiques du cancer. La focalisation sur la douleur comme un mal biologique ou physique oblige les mères et leur enfant –parce c’est le seul registre entendu par le médecin- à ne pas dévoiler les autres douleurs, à penser qu’elles ne sont pas légitimes. Il est arrivé même que les mères se sentent responsables de la souffrance de l’enfant et l’intériorisation d’un devoir d’organicité pour accréditer la plainte devient à un certain moment la seule réponse qu’elles peuvent donner à l’enfant (Le Breton, 1995). Face à ce paradoxe de la douleur se pose alors la question de savoir comment le médecin a accès à cette douleur par delà ses manifestations symptomatiques? Comment a-t-il accès à l'individu douloureux et pas seulement à la douleur de l'individu? Ce point requiert que les représentations que le patient se fait de sa maladie soient détectées, car ces dernières sont l'élément médian qui permet la compréhension du phénomène douloureux par le médecin. 119 A partir du moment où la trajectoire de cancer chez l’enfant devient chaotique, imprévisible et de plus en plus décroissante, les significations attribuées par les mères aux douleurs de l’enfant changent également. Les douleurs deviennent chroniques et envahissent toute les dimensions de la personne. Les mères sont amenées alors à puiser dans les savoirs traditionnels et domestiques, elles se tournent vers les autres mères pour partager leur expérience personnelle et s’accaparent toute information pouvant aider l’enfant à guérir. Ainsi, la recherche du remède "miracle", qu'il s'agit d'une préparation à base d'huile d'olive, de feuilles de pêche ou de grenade ou de toute autre plante herboriste s'accentue dans cette phase particulière de la trajectoire. « Des adresses de guérisseurs ou de thérapeutes s’échangent, des noms de médicaments efficaces, des trajectoires de soins se relatent. » (Le Breton, 1995, p. 151). Ceux-ci constituent aussi des formes d'entraide et de solidarité des mères entre elles. Ces formes de solidarité et la tentative de soulager les douleurs de l'enfant contribuent à maintenir une bonne ambiance dans le centre. Les mères sont contraintes à inventer un mode de résolution de leur épreuve pour ne pas sombrer dans le vide et le découragement. Elles se remettent le plus souvent à la religion pour interpréter le mal de l'enfant et parfois pour l'apaiser. Cette dimension symbolique reste une alternative lorsque la médecine exprime un échec ou bien une incertitude thérapeutique. Par contre, on peut se demander si cette solidarité entre les mères ne permet pas aussi de garder certaines douleurs dans le silence, de renforcer les inégalités sociales en matière de prise en charge de la douleur ? Les anthropologues se sont attachés justement « à identifier les mécanismes par lesquels, au moyen de la maladie (ou de la douleur)30, de ses représentations et des pratiques qui lui sont associées, une société assure un contrôle social sur les individus ». Les problèmes concernant la prise en charge du cancer quand celui-ci est grave et est détecté tardivement, la rupture soudaine d’un traitement, la mort de certains enfants et la mobilisation contre l’urgence de la maladie, ne permet pas en fin de compte d’envisager le soulagement de la douleur comme un soin devant être dispensé de la même façon qu’un soin curatif. Nous pensons en effet que le problème de la gestion de la douleur dans une structure hospitalière est complexe. Cela dépend de l’état du système de santé, de la représentation et de la légitimité de la douleur au niveau politique, du coût des programmes à mettre en place, etc
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