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Titre: | La poétique du banal dans le théâtre de philippe Minyana |
Auteur(s): | BEREKSI REGUIG, Wassila |
Date de publication: | 2009 |
Editeur: | Université Oran 2 Mohamed Ben Ahmed |
Résumé: | Au début du vingt-et-unième siècle, qu’est-ce qui a changé dans le statut du texte dramatique, en vue de la rapide évolution de l’art théâtral en France, depuis 1968 ? Le changement le plus évident concerne la dramaturgie. Bien avant cette date, tout texte destiné au théâtre contenait dans sa structure un modèle implicite de sa représentation. Les metteurs en scène se définissaient comme des régisseurs qui devaient uniquement mettre en rapport un texte et un public, tout le prestige reposait sur les auteurs. Dans la première partie de notre travail, nous avons précisé que la grande déflagration de mai 1968 a changé cet état de fait. Elle a contribué à instaurer la création collective et a permis aux metteurs en scène de l’époque (Patrice Chéreau, Antoine Vitez, Jean Vilar…) d’accroître leur importance jusqu’à s’élever au statut d’« écrivain scénique ». Ces metteurs en scène étaient convaincus que le texte dramatique est incomplet ayant besoin de l’art de la mise en scène pour le compléter, et que cet apport peut non seulement contribuer à réaliser les idées de l’écrivain, mais peut également les contredire. Cette nouvelle vision leur a ouvert la voie vers la « relecture » de pièces, surtout appliquée aux classiques. L’écrivain de théâtre se voyait à cette période réduit à un simple « fournisseur de script ». Par conséquent, les rapports entre écrivains et metteurs en scène devinrent plus que jamais le motif d’une réelle crise -d’auteur-, qui a marqué tout le théâtre des années soixante-dix. Nous avons expliqué que l’intervention de l’Etat français avec le programme « Aide à la création » (fin des années 70 en vue de favoriser le renouvellement des arts), a certainement réussi à réhabiliter le statut important de l’auteur. Car à partir des années quatre-vingt, le texte est revenu avec force ! Une majorité des jeunes auteurs de l’époque a commencé par être comédien, metteur en scène ou acteur avant de se mettre à l’écriture. Ainsi les références pour les nouveaux dramaturges n’étaient plus les pièces existantes dans le répertoire littéraire, mais leur expérience de jeux de théâtre, d’improvisation et des créations collectives. Ce qui a engendré de nouvelles formes d’écriture, très « personnelles », où le monologue intérieur ou le discours monologal demeure la structure de base. A commencer par Bernard-Marie Koltès, nous avons vu que le recours des dramaturges contemporains au monologue comme forme de discours principale, est né d’un besoin d’expression nouveau, mais aussi vu la capacité de la parole solitaire à faire action, comme le note très justement Dimitri Soenen : 153 « Qualifié de « parlerie », de « pensée à haute voix » ou de littérature romanesque, le discours monologal dramatique se déroulerait donc sans que « rien ne se passe sinon, précisément, cette parole (…) et les menus gestes qui l’accompagnent ». Le personnage laisserait « se dévider une parole qui épouse les méandres de sa pensée »1. Mais nous avons montré que le monologue intérieur n’est pas repris dans son sens traditionnel, tel que l’utilisa le théâtre européen du XVIe siècle (Shakespeare) ou le théâtre de l’Absurde, à savoir comme une pause dans l’action permettant au personnage de voir plus clair en lui-même et de dévoiler ses sentiments intimes au spectateur, notamment avant une prise de décision. La parole solitaire est utilisée dans une perception contemporaine. Elle devient l’emblématique de la solitude des personnes, en même temps que de leur désir de trouver un interlocuteur. Les nouveaux dramaturges usent de cette forme de discours en optant pour des oeuvres entièrement monologuées, où ils croisent de successifs monologues ou alternent brefs dialogues et monologues fleuves. Nous citerons plus loin l’exemple éloquent de la pièce Chambres de Philippe Minyana. Contrairement donc au Théâtre de Beckett et de Ionesco, le théâtre contemporain français a développé ses propres formes. On l’a observé chez différents auteurs, tel Michel Vinaver qui propose une écriture de la partition musicale (11septembre 2001-2002-), Jean-Luc Lagarce qui s’est orienté vers des formes pré-dramatique, notamment la forme chorale, Yasmina Reza qui traite des thèmes culturels surtout de la peinture contemporaine (Art, 1994) dans des formes variées, et enfin Noëlle Renaude qui s’intéresse à une écriture contre le théâtre, dans laquelle elle invite le spectateur à entrer comme dans un jeu, afin de voir jusqu’ou peut-on aller avec telle ou telle technique. Chacune de ses pièces ne constitue que la réponse à une question qu’elle s’est posée au moment de l’écrire. Dans cette quête d’une nouvelle dynamique théâtrale, nous pouvons dire que le théâtre en France entre aujourd’hui dans une phase d’« expérimentation formelle ». Les nouveaux dramaturges optent le plus souvent pour des pièces à formes mixtes, empruntant à différentes disciplines artistiques (art plastique, musique, cinéma, show bis…) et à des techniques variées. 1 Soenen Dimitri, « Le sujet et son histoire dans les pièces monologales », in Revue d’histoire du théâtre, n°224, Paris : Ed. B.U Montpellier- Lettres, Oct. -Déc. 2004, P.375 154 Nous avons consacré la deuxième partie de notre étude au projet d’écriture dramatique de Philippe Minyana. L’analyse effectuée des trois pièces théâtrales Chambres (1986), Inventaires (1987), et Voilà (2007) nous amène finalement à conclure que l’auteur propose une dramaturgie atypique et originale de par sa construction formelle et sa composition verbale. Dans ces trois oeuvres, nous pensons que l’auteur réussit cette difficile rencontre du « banal » et de la « poétique », du réel anodin et d’une écriture très élaborée. D’une part, l’inventaire des thématiques à l’oeuvre dans ces pièces nous dévoile d’évidentes récurrences centrées sur la banalité de la vie quotidienne : deuils, souffrances mentales, souffrances physiques, mais aussi les retrouvailles, et l’exhibition de l’intime. Minyana donne la parole à des gens ordinaires, éprouvés par la vie intime ou sociale. Ce sont ces oubliés que l’on ne remarque pas et auxquels on accorde parfois quelques rubriques de faits divers dans la presse écrite ! Minyana nous les montre en gros plan (surtout dans Chambres et Inventaires), il évoque leur quotidien pauvre dénué de toute quête (Voilà), leur sombre destinée, leur moment de paix, de crise, et d’explosion. Nous avons souligné d’autre part, l’absence de toute intrigue, de tout dénouement ou même d’héros. Ce qui montre amplement que l’auteur ne cherche pas à raconter une histoire mais plutôt à reconstituer la parole orale et à l’orchestrer afin d’atteindre une certaine « poétique du banal». Précisons d’abord que selon Aristote, la représentation de la Poétique repose sur un double travail de production. Le premier est principal, c’est : « la construction d’une histoire, comme arrangement systématique de faits enchaînés selon le nécessaire ou le vraisemblable ; cette construction qui est celle d’une épure, met en évidence la composante « kathartique » de la mimésis »1. Le second est subordonné, c’est « Le travail de l’expression (lexis), production du texte par la mise en mots et en mètres de l’histoire »2. L’oeuvre de Minyana répond parfaitement à ces deux exigences. L’étude comparative réalisée sur chaque pièce, nous montre d’un côté, que l’auteur est en constante recherche formelle. Dans chaque texte, une « subtile construction formelle » souvent extra-théâtrale nous est proposée : 1 Cité par Dupont Roselyne-Roc et Jean Lallot, Aristote La Poétique, Paris : Ed. Du Seuil, 1980, P.22 2 Ibid 155 Dans le cas de la pièce Chambres, L’analyse structurelle nous a permis d’y relever différents emprunts à la forme cinématographique. Par le biais du fractionnement de points de vue, l’auteur aurait repris deux techniques de montage –alterné et simultané- mais les a esquissé selon les possibilités de la scène théâtrale. D’ailleurs les six chambres et les six personnages – habitants de Sochaux- dont il est question dans cette pièce, nous font penser directement à la série télévisée américaine « Six degrees ». Cette dernière met en scène six New Yorkais qui sont tous connectés entre eux sans nécessairement se connaître, suivant la théorie des six degrés de séparation. Cette série est basée essentiellement sur le montage alterné car les personnages ne se rencontrent que fugitivement. Certains d’entre eux ne se rencontreront peu être jamais, comme c’est le cas des personnages de Chambres. Dans le cas de la pièce Inventaires, nous avons distingué une architecture formelle proche du jeu « télévisé ». Au cours de notre lecture scénique, nous avons constaté que la mise en scène de cette pièce renvoie parfaitement le simulacre de la télévision, dans la mesure où l’espace scénique fonctionne vraisemblablement comme un « cadre d’écran ». Voilà prend la forme d’une succession de cinq Visites, cinq séquences. Nous avons précisé que Minyana s’est intéressé davantage dans cette pièce, à l’écriture du corps, au langage extraverbal, afin de mettre en évidence l’animation corporelle qui accompagne toute prise de parole. Grâce à l’examen du texte « à dire », nous avons pu observer l’usage de différents modes d’échange (aparté, dialogue, trilogue, polylogue). Mais cette variété nous a semblé dérisoire, puisque les échanges verbaux restent centrés sur le « Banal ». Encore une fois, aucun conflit, aucune réflexion profonde n’est présentée dans cette pièce, sinon la représentation du temps qui passe. Au cours de notre étude du texte « didascalique », nous avons relevé une pluralité de types de didascalies (initiales fonctionnelles, expressives, narratives, commentatives). Nous avons démontré que ce texte didascalique prolifère différents espaces dans le devenir scénique de cette pièce : un espace sonore, un espace visuel, mais aussi un espace romanesque destiné uniquement à la lecture. 156 Nous nous sommes interrogé par la suite sur la relation qu’entretient le texte dialogique avec le paratexte dans Voilà. En multipliant les indications gestuelles, expressions faciales, et les productions sonores, l’auteur formalise justement un sens dans le banal. Ce sont les symptômes de la parole qui sont mis en exergue vu que l’histoire des Visites est comme au degré zéro. En somme, si toutes ces pièces sont traversées par le même paysage banal, aucune toutefois ne présente une architecture semblable. Chambres accueille dans sa matrice structurale une technique cinématographique, Inventaires adopte le dispositif médiatique, et Voilà exploite le langage corporel. Philippe Minyana prend le risque d’à chaque fois de réinventer une nouvelle forme et donc une nouvelle façon d’interroger le sens. Nous constatons d’un autre côté, que le travail de l’auteur consiste aussi à reconstituer la « parole orale » dans son énergie, son rythme et ses incorrections pour dépasser la parole stéréotypée, si fréquente dans le parler quotidien. Ce qui en résulte, ce sont des paroles « exotiques et poétiques ». On la observé surtout dans la pièce Inventaires. L’analyse du discours nous a permis d’y relever différents procédés littéraires maîtrisés par Minyana, tel la rhétorique dans le mélange des lexiques populaires de deux époques, la rythmisation du texte et les assonances qui jalonnent presque chaque prise de parole, générant une sorte de partition musicale, faîte pourtant de platitudes ! Nous avons démontré d’ailleurs, que la pièce Inventaires, bien que son dispositif énonciatif soit emprunté aux médias et des jeux télévisés, demeure une oeuvre verbale de par son écriture poétique. C’est cela la démarche emblématique de la quête créatrice de l’auteur : trouver une forme et une parole qui puisse donner à l’ordinaire, au « parler de la boulangère », une chance de devenir extraordinaire, de devenir « un poème parlé ». En abordant une humanité à la fois ridicule et vraie, Minyana cherche à partager son souci de ces humbles, de créer ou plutôt de recréer une voix assez riche afin que leur existence puisse toucher un public. Le spectateur est ainsi invité sans cesse à une « représentation » de la parole, à la redécouverte du langage, plutôt qu’à suivre une histoire ordinaire. Par ailleurs, nous tenons à signaler que l’auteur a inventé une nouvelle forme du monologue, une forme ouverte, celle de l’expulsion, et non d’introspection. Les six monologues dans Chambres sont utilisés dans une conception actuelle. Les Chambres en question suggèrent 157 par le titre un espace intime et clos, où la parole peut se libérer et le personnage se soulager. Il ne s’agit pas pour les six personnages de méditer contre l’injustice faite à la condition humaine. Minyana accorde la parole aux humbles, aux victimes toujours solitaires du système, ceux qui dans le cadre habituel du discours littéraire ou médiatique n’en ont pas l’accès. La parole solitaire devient non pas un instrument de pensée, mais un moyen de survie, une parole en quête d’écoute : parler pour s'empêcher de mourir, vivre encore. Alors que les monologues dans la pièce Inventaires sont présentés de façon ludique et amusante, si l’on tient en compte cette dimension divertissante du jeu télévisé qui est proposée. Dans ce volet d’étude, nous pouvons également déceler des « périodes » dans l’écriture minyanesque. Du « gras » au « maigre » (selon son expression), l’auteur français est passé assez brusquement du maximalisme (les années 80) au minimalisme (les année 90, 2000). Autrement dit, Minyana privilégiait dans ses débuts l’écriture monologique (Chambres, Inventaires) qui nécessite un travail d’empilement de fragments et de paragraphes. Il s’est tourné par la suite vers des pièces brèves à forme dialogique (Voilà, Tu devrais venir plus souvent). Les dernières pièces de l’auteur semblent placées sous le signe d’une certaine tentation du narratif. Le texte didascalique y constitue le tissu principal tandis que les répliques ne font plus figure que d’intruses, comme on a pu le constater dans sa pièce Voilà. L’avenir de l’écriture dramatique est ailleurs ! Au cours de nos lectures d’ouvrages théoriques et de pièces contemporaines, nous nous sommes rendus compte finalement que Philippe Minyana n’est pas le seul dramaturge à intégrer le dispositif télévisuel ou la technique cinématographique à l’écriture dramatique, même s’il demeure peut être le premier. Dans sa pièce L’Homme du hasard (1994), Yasmina Reza utilisera à sa manière le montage alterné. Michel Vinaver écrira, une année après Inventaires, une pièce théâtrale intitulée carrément L’émission de télévision (1988). Une autre expérience dans les années quatre-vingt –dix, celle d’une compagnie australienne, proposera le spectacle Urban Dream Capsule (Capsule de rêve), présenté sous forme d’une installation dans les vitrines d’un grand magasin redisposé en appartement où évoluent pendant quatorze jours, quatre comédiens, sous le regard permanent du public. Il convient aussi de se questionner sur la démarche créatrice d’autres auteurs contemporains, tel « les rhapsodies » d’Enzo Cormann, le « langage défiguré » de Valère Novarina, mais aussi des production de la nouvelle génération de jeunes dramaturges émergeant 158 actuellement sur la scène française. Nous pouvons citer entre autres, le collectif Lumière d’août, Ronan Cheneau. Ils semblent accorder une place de plus en plus importante à l’ordinateur, et parlent même de pièces jetables ! On peut néanmoins s’interroger sur le statut des « instances » (action, fable, personnage) dans ces nouvelles écritures. On peut aussi réfléchir sur la fonction de la « parole », de la « parlerie » ou même du dialogue qui revient actuellement en force. Mais s’agit-il encore du même dialogue ? On constate en fin d’analyse que les nouvelles tendances du spectacle de ces dernières décennies, sont davantage marquées par la transgression des genres et des formes que par l’affirmation d’une singularité théâtrale. Au-delà des exemples cités précédemment, la question qui se pose désormais est de savoir si cette transgression favorisera l’appropriation ou la perte des pouvoirs du théâtre ? Nous nous projetons de répondre à ces questions dans des travaux ultérieurs. |
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