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Titre: | De la polyvalence des genres au récit imposteur Le parcours littéraire de Yasmina Khadra : « L’écrivain », « l’imposture des mots », « Cousine K », « La rose de Blida », « La part du mort » |
Auteur(s): | OULD ALI BELARBI, Habiba |
Date de publication: | 2016 |
Editeur: | Université d'Oran 2 Mohamed Ben Ahmed |
Résumé: | Tout est permis en littérature, le lecteur évolue dans un univers de mots, un univers de papier où les propos n’engagent que le narrateur. Ainsi le lecteur assiste aux insultes échangées entre le romancier- l’écrivain et ses personnages, au surgissement de ces « je », qui ne sont qu’une seule et même personne, aux confessions volontairement autorisées, d’un roman à un autre. Jeux et enjeux de l’écriture, brouillage de pistes, chuchotement, identité empruntée, le lecteur est vaincu avant qu’il ne commence à lire, « le terrain est miné ». A travers nos deux premières parties, nous avons tenté de démonter que khadra joue avec les genres établis : l’analyse de notre corpus nous a montré la manipulation des genres réclamée par Yasmina khadra au nom de la liberté créatrice. Les romans du corpus souscrivent à un genre répertorié mais s’en écartent subversivement. Au fur et à mesure qu’avance le récit, les caractéristiques du roman autobiographique ne sont plus respectées. « L’Ecrivain », notre roman cible, une autobiographie qui, tout en respectant les règles du genre les subvertit. Le lecteur est déstabilisé déjà par la double identité du « je » énonciateur (khadra/ Moulessehoul). Cette déstabilisation du lecteur se poursuit par la lecture de « La Rose de Blida » et « Cousine k ». Les deux textes se présentent, en première lecture, comme un enrichissement de l’autobiographique « L’Ecrivain ». Seulement cet enrichissement au lieu d’être, comme dans tout récit autobiographique, la narration d’événements « vrais », sont des moments d’analyse psychologique ou tout simplement des moments de phantasme. L’auteur semble poursuivre cette manipulation du genre autobiographique, poussant le lecteur vers une 296 reconstruction du sens. Mais cette attitude de déstabilisation de l’auteur envers son lecteur, khadra la pousse à l’extrême par la publication de « L’Imposture des mots », texte qui, tout en paraissant prendre racine dans l’autobiographie, s’en démarque par de vrais et de faux interviews, par des réflexions de l’auteur sur la vie en général, sur la littérature, sur la politique, sur les critiques, les medias…, avec l’intervention de personnes réelles et fictives, personnes devenant, dans la narration, personnages : sortis de leur contextes spatio-temporel « Nietzche, Kateb, Zarathoustra, Moufdi Zakaria », deviennent une création entre les mains de khadra. « L’Imposture des mots »se présente ainsi comme des bribes autobiographiques fragmentées et dispersées dans le texte global, enserrés par les mots en délire, des mots en mauvaise posture (d’où le titre du livre), dans une quête de la vérité chez l’auteur (le coté autobiographique du texte). Ainsi, en manipulant le genre (ici le roman autobiographique), l’auteur manipule le pacte de lecture. Il pousse le lecteur à se questionner sur le vrai et le faux, sur la part de fiction dans ce qui est donné comme réel. Le lecteur deviendrait-il, dans la recherche du sens du texte, un Coénonciateur ou co-auteur avec l’auteur signataire du texte ? Cette attitude de khadra à bousculer son lecteur se confirme dans un autre genre : le roman policier ou le « polar », « La Part du mort » glisse vers l’autobiographie puisque le commissaire LLob ressemble étrangement à khadra et Moulessehoul réunis. L’autobiographie si elle semble évidente dans « L’Ecrivain », apparait en germes dans les quatre autres romans du corpus à savoir : « La Rose de Blida », « Cousine k », « La Part du mort », « L’Imposture des mots ». Elle prend alors la forme d’un récit imposteur. Voire même un récit indécidable selon la terminologie de Blanckeman. 297 « La notion de récit indécidable, désigne alors un texte aux degré de fonctionnalité différenciés, qui subvertit les catégories littéraires établies en supprimant leur protocole »146 Cependant, l’écriture en tentant de se réinventer, par le choix de nouveaux procèdes scripturaux, plonge dans l’espace de la falsification, de la dissimulation, de l’éclatement, du dérèglement. A travers l’ironie, khadra mène un jeu qui déstabilise son lecteur, confronté à deux personnages à la foi frère et ennemi : Moulessehoul et khadra. Le rapport de ces deux personnages fonctionne de telle sorte que tout est dans « l’indécidable » : appel et rejet ; conflit et entente ; guerre et paix, unité et discorde. En effet, Khadra joue avec l’autobiographie qui a connu durant le 20eme siècle plusieurs crises à cause, comme le souligne Blanckeman, de la théorie de l’inconscient de Freud, de la théorie de l’aliénation dans le matérialisme didactique et enfin de la théorie de la structure. Néanmoins khadra, au-delà de cette crise, tente l’aventure du surgissement du « je », un « je » qui se situe à la croisée de plusieurs « je ». Il fait alors de la scène romanesque le lieu privilégié où il représente sa vie et exhibe sa personnalité « indécidable ». Par l’écriture, il essaie de capter le miroitement de son être. Il est à la recherche d’une parole spécifique qui joue entre un « moi existentiel », (celui de Moulessehoul) conforté par des événements vécus et un « je écrivain » (khadra) qui fonctionne essentiellement dans la rhétorique littéraire. Il tente de se créer une identité subjective où deux logos se confrontent. Au sein de ce conflit et dans le creux entre ces deux logos, l’écriture prend tout son sens et la narration s’installe. Elle crée la scène du « sujet » à qui elle propose des moyens de reconstruction. L’énonciation des faits vécus dans un 146 BLANCKEMAN Bruno, 2000, Les récits indécidables, édition Perspectifs Septentrions. 298 ordre chronologique dans « L’Ecrivain » est remplacée par « la fable », « L’Imposture des mots » qui par une approche « biaisée » tente de piéger le sujet en le diversifiant avec d’autres mois et en créant la zone du « nonmoi ». Ainsi, l’œuvre de khadra fonctionne comme une pièce de théâtre à deux personnages, khadra et Moulessehoul en quête d’un troisième personnage, le « je » écrivant. Elle met en scène khadra lui-même, khadra cachant Moulessehoul, l’écrivain camouflant le soldat. Cependant tout se joue sur la scène du langage : le logos de l’écrivain revendiquant la liberté d’écrire, libre de toute entrave, combattant le logos du militaire sujet assujetti à un ordre. Tout se joue sur cette scène complexe du sujet et cela en trois temps : le déni, le retour du refoulé et l’émergence du « je » de l’écriture. Ces trois temps représenteraient ce que Blanckeman appelle dans « Les fictions singulières » « l’auto- diction » ou « s’inventer sa parole », « l’autoscription » ou « s’enraciner dans des signes écrits » et « l’auto fabulation » ou « synopsis romanesque de soi ». Le premier acte est une urgence à tenir une parole personnelle en réinterprétant son propre passé. Et ce sera Moulessehoul dit par khadra. Puis dans le second acte, khadra est renversé par Moulessehoul qui le destitue et en fait une énigme vivante. Enfin, le troisième acte, c’est l’émergence d’un « sujet indécidable », qui n’est ni khadra ni Moulessehoul et qui peut permettre au « je écrivain » de continuer son aventure créatrice, une présence à soi d’ordre poétique. Déni et retour du refoulé marquent, ainsi, les deux premiers temps de la quête ontologique de Yasmina Khadra. Le troisième temps est celui de 299 l’émergence d’un « je », celui de l’écriture, qui n’est ni khadra ni Moulessehoul, mais une troisième instance dont la seule réalité est de l’ordre du poétique. Derrière l’écriture faussement linéaire de « L’Ecrivain » et derrière celle fragmentée et cassée de « L’Imposture des mots », derrière ces deux « récits imposteurs », se profile la quête ontologique de Khadra. Apres le déni autobiographique qui a tenté de ne faire vivre que Khadra/écrivain et cela par la figure du masque représentée par l’utilisation du « pseudonyme »et après le retour du refoulé où Moulessehoul revient dans la violence, Khadra, par la figure du déplacement, parvient à créer un troisième espace, celui de la paratopie où il fait surgir une identité discursive. Ainsi le narrateur qui est khadra et Moulessehoul à la fois, s’invente sur parole. C’est pourquoi ses récits ne visent pas une biographie ni même l’histoire d’une vie. Ainsi, Yasmina Khadra est l’écrivain de la transgression ; une transgression qu’il inscrit dans ce qu’on appelle actuellement la post- modernité où l’écriture comme porteuse de sens est remise en question à travers un démontage du sujet écrivain. Il ne s’agit plus de lire une écriture mais de retrouver la mise en scène du « je » écrivant. Yasmina Khadra, à travers des créations, manipule le genre, prend une liberté créatrice, et s’inscrit dans la mouvance du récit imposteur. Son écriture est une mise en scène propre à la post modernité, celle de la remise en question du sujet de l’écriture, du sujet écrivant. De manière générale, khadra se situe parfaitement dans le courant post moderne car on retrouve chez lui les principaux traits : comme son nom l’indique la post modernité fait suite à la modernité, une période marquée par le désir de transformer la littérature. 300 « Principales caractéristiques de l’écriture postmoderne : plusieurs thèmes importants caractérisent les œuvres postmodernes : l’errance, la quête identitaire, la recherche de l’équilibre intérieur et interpersonnel, la confusion entre le réel et le virtuel, le temps… » 147 Les enjeux de l’écriture ont changé, les textes ne souscrivent plus à un genre. Plusieurs écritures se mêlent, se coupent et se recoupent. Des effets de style réalisme, prose poétique, essai, monologue prolifèrent et donnent naissance à des textes atypiques des textes indécidables. Le cas Yasmina khadra au parcours singulier par la prolifération de sa production romanesque, par sa variété, tant sur le plan thématique que sur le plan de l’écriture, par la disparité de ses écrits pose le problème du genre et de la création romanesque, comme ses prédécesseurs et non des moindres : Gide, Proust, Kafka…., il met en avant la difficulté d’écrire, et celle de réfléchir à ce qu’on écrit. Le romancier ne peut échapper à ces interrogations, son moi créateur recoupe son moi social qui lui recoupe son moi individuel : Il n’est pas aisé d’être juge et partie. Quelle leçon doit-on tirer ? Que faut-il conclure de ces romans ? Que le romancier écrit toujours dans le souci de se dépasser, de se renouveler tout en ayant conscience du jeu fortuit (même si rien n’est gratuit) de l’écriture. A d’autres de mener davantage l’opération d’assainissement de l’écriture, et d’interroger le devenir des écrits futurs de khadra : seront-ils le théâtre de leur propre mise en scène, comme c’est le cas ici ? |
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